LE BRUYANT SILENCE DE TÉVENNEC

Tévennec, au milieu de l’océan est le domaine du bruit permanent ou le silence règne. A toute heure du jour et de la nuit la mer fait entendre sa présence. Les jours de grand calme sont rares mais elle est là, elle chuinte au pied des roches. La nuit elle m’appelle. Je serai tenter d’y descendre, de voir ses phosphorescences dans l’obscurité, sa dentelle blanche qui se trémousse comme pour me provoquer. Mais je refuse cette emprise. Céder au chant des sirènes serait se mettre en danger. Si elle hausse le ton, la petite voix devient tonnerre. Elle annonce sa colère montante par de sourds grondements qui vont crescendo jusqu’aux détonations que provoque sa lutte contre l’ennemi qui lui barre la route. Et pourtant le silence règne. Les instruments du vent s’invitent à ce concert. Leur registre est celui des sifflements, des miaulements. Leur souffle profite de chaque obstacle, de tout passage resserré, des fenêtres fuyardes. Ils se développent dans la tour en harmoniques d’un autre monde pour se perdre en réverbérations dans mon esprit. Et pourtant le silence règne dans cet ailleurs où je suis. Au long cours des semaines, la permanence de ces sollicitations sonores ne m’affectent plus. Je les entends mais ne les écoute. C’est une basse continue sans harmonie. Serais-je le solo qui fait défaut ? Non, ma musique est intérieure. Le silence est un abîme personnel rédempteur. Il est l’alpha et l’oméga de la pensée.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de NE force  avec une mer belle. Lumière sur Tévennec !

LE TEMPS QUI PREND

Cinquante jours depuis mon arrivée à Tévennec. Deux mille quatre cents milles marins soit près de quatre mille cinq cents kilomètres, voilà la distance parcourue par l’eau pendant ce temps. Moitié vers le sud moitié vers le nord, alternativement de chaque coté du caillou. Moi je suis resté sur place. Le voyage immobile est l’apanage de celui qui habite un phare en mer. Cela libère l’esprit pour lui ouvrir les voies du voyage intérieur. Les premières semaines passèrent rapidement. Puis le temps a ralenti, s’est amorti, s’est dilué en moi. Le moteur quotidien de ce temps est la routine. Voilà une pratique pleine de vertus. Il faut organiser sa routine. A chacun la sienne. Les gardiens de phare en mer avaient aussi la leur entre obligations du service et repos. La routine d’un solitaire s’apparente à un rituel dont l’accomplissement est rassurant. Le quotidien des actes qui s’enchaînent selon un ordre prévu, fixe le temps, lui donne ses limites. Le moindre geste, même anodin, a sa place, sa raison d’être. Je me demande parfois si je ne réagis pas comme un vieux célibataire endurci qui aurait ses manies. Qu’importe. De toute façon il n’y a personne pour bouleverser l’ordre que j’ai moi-même établi. Pas d’événement extérieur impromptu auquel il faudrait soudain se plier. Je voyage dans un temps qui est le mien. Ce n’est qu’à partir de cet état que j’ai pu me mettre à l’écriture. Un décalage temporel certainement indispensable mais un retour à terre qui sera sans doute difficile.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de S force 2 avec une mer belle. Lumière sur Tévennec !

LES NUITS DE TEVENNEC

Les nuits sont généralement paisibles à Tévennec. Enfin presque. Il y a eu bien sûr la nuit de la grande tempête le soir de Pâques. L’excitation du moment pour assister à cet événement en extérieur, autant que cela se pouvait pour des raisons de sécurité dans l’obscurité, a naturellement amputé de tout sommeil une partie de la nuit. A l’intérieur ce n’était que vacarme. Les vagues tombent sur la terrasse et claquent derrière la fenêtre. Un vent d’enfer fait mugir la lanterne pour jouer une symphonie de sifflements, de vrombissements et de bruits inconnus jusqu’alors. Rien de propice pour dormir. Mais le plus étonnant survient peu de temps après. Je suis réveillé en pleine nuit par des bruits sourds qui semblent provenir de l’étage. L’inspection des lieux au jour ne révèle rien. Le phénomène se reproduisant deux autres fois, je décide d’être prêt à un éventuel enregistrement. Quelques nuits plus tard, l’instant propice arrive. Muni de la lanterne à pétrole je décide de gravir doucement les marches de la tour afin d’enregistrer toute nouvelle manifestation de ces bruits inconnus. Un vent de suroît assez fort résonne depuis la lanterne. Ce son est habituel. Je le connais bien. Soudain des coups sourds répétés résonnent et dominent le bruit de fond, puis rien. Je monte encore quelques marches et perçois à nouveau une série de coups, moins nombreux. Je ne constate rien à l’étage cette nuit-là et le lendemain matin non plus. Je n’ai pas d’explication. Il doit y en avoir une.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de SW force 4 avec une mer agitée. Lumière sur Tévennec !

LE GRAND SABBAT

Le défilement du temps semble s’amortir. Comme pour marquer cette étape, l’océan a convié le grand orchestre. Au cours de la nuit de Pâques une forte tempête a pris le caillou de plein fouet. Dans la soirée le vent atteint les 50 nœuds. Ce n’est qu’une mise en jambes…. Vers minuit la barre des 60 nœuds est franchie pour atteindre plus tard 80 nœuds. Une nuit dantesque. Impossible de sortir, de tenir debout ou d’aller au vent sans se mettre en grand danger. Les paquets de mer retombent lourdement sur la terrasse en inondant tout. Atteignant parfois la hauteur du rebord du toit ils sont violemment dispersés, giflent tout obstacle sur leur passage pour aller se perdre dans une nuit hantée par les grands panaches blancs des déferlantes. Pluie et embruns se sont mués en une volée de gravillons. Je suis là, à l’abri du mur sous le vent, harnaché, sur le qui-vive, intensément heureux d’être au cœur de ces éléments déchaînés, convié à leur grand sabbat. A l’intérieur du phare c’est une symphonie de sifflements, de grondements, de mugissements de toutes sortes et de bruits inconnus jusqu’alors dont la tour se fait l’écho. Impossible et peu envie de dormir. Je veux profiter de chaque instant, ne rien manquer. Cette nuit sera forte, riche de sensations inconnues, si différentes des celles rencontrées en mer. Car dans ces circonstances on pense davantage à sauver sa peau qu’à profiter du spectacle. Une expérience hors du commun.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de S force 6 avec une mer agitée. Lumière sur Tévennec !

LE MONSTRE ASSOUPI

Les premiers jours de la semaine ont été marqués par un superbe temps. Cela fait du bien. J’en profite pour sortir tout ce qui a besoin de sécher un peu. A l’abri de la tour, havre bienveillant, le rayonnement du soleil réparateur est propice à la contemplation. La lumière est intense. Ici tout change vite. Les murs blanchis apportent un relent d’ambiance méditerranéenne un peu décalée quoique les Espagnols missent sans doute le pied ici. Tout est calme et brillance. Un soleil lourd danse sur les rochers maculés de sel. La surface sournoise et apaisée des flots révèle des transparences de verts aux éclats de garance. L’air flotte étrangement. Là-haut pas un nuage. A ce temps clair, la brume laiteuse du large ne ment. Seul le chuintement de la mer, en ses veines de courant qui rongent le roc, rappelle une peine dont le temps paraît se moquer. Un long parcours dont la sublime incertitude engendra parait-il en ces espaces glauques et rudes l’humanité dont le dessein fut de régner sans partage, d’imposer sans faiblesse ses pillages. Valeureux marins et pauvres gens, leurs escales et découvertes lointaines furent leurs rêves d’or et d’argent, leurs fières nécropoles. Vanité de leurs défis ! Cette mer ici les a happés. Malheur à ceux qui s’en sont ri, espérant grâce d’y échapper. Cette île pour l’heure paisible est la mâchoire acérée du Raz. Point de méprise, elle ne dort que d’un œil. Déjà sous la houle qui revient par le noroît elle s’ébroue. La bonace appelle ses rugissements.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de N force 3 avec une mer peu agitée. Lumière sur Tévennec !

TEMPÊTE

Capture d’écran (82) - Copie
Une dépression très creuse prévue à 977 hectopascals est attendue ce soir à l’entrée de sa Manche. Les fronts qui l’accompagnent sont très resserrés. Les lignes isobares (d’égale pression) le sont donc aussi, ce qui signifie que le vent engendré par la dépression sera violent. C’est le gradient isobarique. Pour imager le propos, une dépression peut s’assimiler à une zone creusée dans le champ de pression, une sorte d’entonnoir, autour et sur les bords duquel l’air circule dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, car nous sommes dans l’hémisphère nord. A l’avant de la dépression, les vents sont donc du sud. Le phénomène se déplaçant vers le nord-est, l’observateur constate que les vents passent au suroît puis à l’ouest et enfin au nord-ouest. Le vent ressenti au sol résulte globalement  de la composante de deux forces :
– La pente du vent, c’est-à-dire son écoulement des hautes pressions vers les basses.
– Une force de déviation qui affecte cet écoulement due à la rotation terrestre (Force de Coriolis, déviation à droite dans notre hémisphère).
Ce vent ressenti est, sous nous latitudes, plus ou moins parallèle aux lignes isobares selon sa pente. Sur la carte, on constate que ces lignes dans la partie sud de la dépression sont très resserrées et que leur orientation est sud-ouest-nord-est ce qui détermine un vent de secteur sud-ouest.
Sur la carte on voit que le front chaud (ligne noire symbolisée par des demi cercles noirs) et le front froid (ligne avec les triangles noirs) sont proches. Un front sépare deux masses d’air aux propriétés différentes. L’air atlantique chaud et humide est entre les deux fronts. Derrière le front froid c’est l’air polaire humide qui pousse et tend à combler la dépression. Le fait que les deux fronts soient rapprochés montre que cette poussée est très violente et que par conséquent le front froid est très relevé en biseau. On parle alors d’un front actif. Il faut imaginer cela en coupe car le front affecte toute la tranche de l’atmosphère du sol vers le haut. Un front froid très actif indique que dès qu’il passe, donc derrière lui,  le vent saute brutalement de l’ouest au noroît et avec force.
Cette énergie éolienne forte et prolongée se transmet à la surface de l’océan et engendre la houle. Plus l’énergie est grande et plus sa propagation dure longtemps, plus la houle est importante tels les cercles engendrés à partir d’une pierre jetée : plus la pierre est grosse, plus les cercles sont grands, hauts et espacés. En conséquence une grosse houle est caractérisée par une grande longueur d’onde, à savoir la distance entre deux crêtes. Son corollaire, la période, le temps qui s’écoule entre le passage d’une crête et sa suivante, est grande en proportion. Pour ce soir la période prévue est de 15 secondes environ alors que dans nos eaux, par mer calme sans ancienne houle provenant d’une lointaine ou passée dépression (houle rémanente), la période est habituellement de 5 à 8 secondes. Une houle de 15 secondes de période signifie qu’elle est porteuse d’une grande énergie donc de chocs plus violents lorsqu’elle rencontre un obstacle comme Tévennec. Nous verrons tout cela ce soir.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de SW force 8 avec une mer très forte à grosse. Lumière sur Tévennec !

INITIATION

Ma vie s’est installée au phare. Du moins le crois-je. Voici trois semaines que je suis l’habitant des lieux, que je tente de me les approprier. Reste cette sourde impression de n’être qu’un invité dont la subreptice intrusion aurait circonvenu l’hôte. La place proposée n’est qu’un strapontin. Sur ce roc triomphent sans partage l’aridité, le sel, le vent et la mer, leur bruyante et perpétuelle respiration, leur humidité, leur morsure. Ici rien qui ne soit qu’authentique, brut de nature, âpre et originel. La vie terrestre y est une anomalie, une absence.

Dans ce milieu hostile, seule la maison-phare témoigne de la présence humaine, envers et contre tout. Ses cent quarante et un ans d’une existence altière sont émaillés de drames et de certains bonheurs sans doute. J’y ai trouvé refuge dans la pièce où je me tiens, cellule centrale de mon quotidien, petite passerelle de ce navire immobile. C’est rassurant. Chaque chose utile y est à portée. Vertu apaisante du rangement Hors ces murs, c’est le royaume chthonien de l’obscurité d’où l’humidité suinte l’abandon séculaire de l’écho oublié des voix d’autrefois, gueulantes de gardiens ivres de solitude, silences de taiseux renfrognés, mais aussi cris enfantins jetés au vent et récits au coin du feu partagés dans cette grande pièce où la cheminée n’a laissé que son empreinte. Oui, je me fonds petit à petit, porté par un sortilège étrange, dans cette histoire humble et forte, pour autant qu’elle continue à m’initier.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de NE force 5 avec une mer très agitée. Lumière sur Tévennec !

LA VIE AU PHARE

La vie quotidienne s’est enfin installée. L’emploi du temps du jour est scandé de temps forts, indispensables repères du solitaire. Les gardiens de phare avaient le leur. J’ai le mien. Au lever c’est l’envoi des couleurs. La brise fraîche du matin est excellente pour le réveil ! Tandis qu’un bon café chaud passe tranquillement, je pratique ma gymnastique quotidienne. Les pompes maintiennent la forme ! Après l’observation des récifs alentours et du large, je consacre en général la matinée aux obligations de la communication. Cet aspect reste essentiel dans le cadre de mon séjour. Il s’agit de répondre aux nombreux mails, aux médias, de préparer articles et vidéos qui doivent ensuite être envoyés. Les transferts par internet se passent globalement bien, les fichiers étant pourtant assez lourds ; mais il y a des jours, apparemment selon des conditions météorologiques, où le débit est très ralenti voire absent. Je crains toujours de lire ce message : « aucun réseau» ! Il y a aussi l’ouverture du journal du phare où je consigne chaque jour la météo observée et les événements constatés, modestes ou importants. Tout ceci peut être chamboulé si l’actualité l’impose, comme ce fut le cas lors de la tempête de la semaine dernière.
Je n’échappe pas aux obligations domestiques. Outre la préparation des repas et la tenue de l’inventaire des vivres, l’entretien et le maintien de mon lieu de vie m’est indispensable. Une vieille habitude de navigation certainement. J’ai toujours lié, au vu de l’expérience, l’état psychologique, sinon physique, à l’état des lieux, compte tenu bien sûr des possibilités que permettent les conditions matérielles du moment. Le niveau d’exigence n’est pas le même, que l’on soit en quasi survie ballotté dans le mauvais temps sur un petit voilier ou installé au sec dans une maison chauffée ! Il reste qu’une fois à l’abri d’un quai, j’ai toujours redouté – et donc évité – la vision déprimante du spectacle de la vaisselle sale de la veille entassée dans le cockpit. Quitte à passer parfois, certes, pour un rabat- joie sinon pour un psychorigide…
La vie de Robinson, pieds nus, cheveux et barbe au vent, me plaît tout autant. Mais faut-il que les circonstances matérielles soient dans le ton : vivre simplement mais avec peu. C’est même une excellente école d’apprentissage au minimalisme et à la résistance dont je suis volontiers adepte. Faire tout avec rien, telle est la devise du marin. Il y a de nombreuses années j’ai navigué avec un équipage restreint à bord d’un petit voilier, sans cabine et seulement pourvu de coffres pour y ranger vivres de base et modeste matériel de camping. Nous dormions sous la voile tendue sur la bôme. Nous naviguions parmi les îles et les étoiles et avions pour mouillage l’échouage auprès des plages désertes. Nous vivions de rien ou presque, du soleil et du vent. Hâlés et pourtant pas « verts », nous respections d’instinct cette nature sublime. Ce n’était pas sous les tropiques mais en Bretagne, un été d’un autre temps, sans jets-skis, sans moteurs intempestifs, sans débarquement de cohortes bruyantes, sans plaisanciers adoubés par leur simple location à la journée qui alertent les secours dès que la visibilité tombe. Cette évolution impliquant interdictions et limitations nécessaires a soumis sans distinguo les navigateurs authentiques et les autres au même régime standardisé à minima. Que le plus grand nombre ait accès à la pratique de la mer est a encourager. Cependant la mer est une école qui peut se révéler sans concession.
Je suis heureux d’avoir connu cette Bretagne dont les espaces maritimes recèlent encore quelques libertés. Jusqu’à quand ?
Mon programme de l’après-midi m’attend. L’écriture.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 Nord et 04°47’43 Ouest par vent de NE force 2 avec une mer belle. Lumière sur Tévennec !

ÉTREINTE D’ENFER

Elle aura répondu à mon invitation secrète. Elle s’est annoncée en rampant hier soir sous la surface dormante des eaux. Sa respiration grandissante trahissait sournoisement son envie pressante de saisir entre ses griffes cette émergence de roche où elle était conviée. Pour l’heure, elle faisait patte douce, espaçant à intervalles réguliers les traîtres frôlements de ses lancinantes ondulations lascives mues par une force des temps géologiques. Au matin du monde, n’y tenant plus, elle a frappé brutalement, excitée et gonflée par tous les flux du ciel. L’engagement fut violent, incessant, acharné, mordant, assourdissant, tempétueux. Ses tenailles ébouriffées d’écume déchiraient l’océan en autant de plaies blanches aussitôt refermées puis précipitées dans un roulement de tonnerre sur les remparts acérés de mon ultime forteresse couronnée de gerbes blanches aux étincelles vaporisées de sel. Incontinents sous ces masses liquides et vertes projetées sans discernement, les lieux voulaient comme dissimuler au profane cette séculaire étreinte. L’heure de l’effondrement de ma citadelle viendrait à coup sûr mais après un si long délitement et tant d’autres assauts. C’est alors que le sang blanchi de ce combat impitoyable se répandit sous le vent de ce chaos pour déployer sur l’onde la traîne irisée de sa majesté la Tempête. Hôte discret mais voyeur, j’ai longuement et goulûment contemplé l’impératrice des flots livrer toute sa fougue aux millénaires ébats des amours du vent et de la mer.

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 » Nord et 04°47’43 » Ouest par vent de NE force 4 avec une mer agitée. Lumière sur Tévennec !

LES CASSANDRES NE FONT PAS L’AVENIR

Voici onze jours que je suis sur le rocher. Une satisfaction que je partage avec tous ceux qui ont permis la réalisation de cette opération. Ils y ont cru jusqu’au bout à l’inverse de ceux qui ont pensé que le départ n’aurait finalement jamais lieu. Ces cassandres ne manquent jamais, en pareils cas, de répandre leurs oracles de mauvais augure pour jouer le rôle de poseurs de mines en eaux troubles.
Il est vrai que le départ fut passablement retardé, pour des raisons qui ont été déjà longuement expliquées. Mais était-ce suffisant pour ne pas avoir foi en ce projet, fût-il difficile à mettre sur pied ? Certainement pas. Il est évidemment plus confortable de prédire la défaite depuis son canapé. Pour certains, le confort dans la démission de leurs convictions antérieures n’a jamais altéré cette envie d’annoncer avoir toujours cru en la victoire, dès qu’elle se dessine. Ainsi va sans doute la nature de ces porteurs d’opinions girouettes dont la préoccupation n’est pas, c’est bien connu, de s’orienter à contresens du vent du moment.
Les difficultés surgissent toujours lors de la mise en place de projets qui méritent ténacité. Elles sont autant de « filtres à cassandres » qui font un tri salutaire.
Au reste, tout cela n’est qu’épi-phénomène minoritaire au regard de l’histoire qui se joue comme le démontre les si nombreux soutiens reçus avant et pendant cette opération.
Ce qui compte réellement c’est que « Lumière sur Tévennec » a bel et bien lieu. Tous ceux qui y ont participé peuvent en être fiers. Et moi aussi, grâce à eux. La très large couverture médiatique de l’événement fait connaître au plus grand nombre l’existence de ce patrimoine des phares en mer et la nécessité de le sauvegarder, de lui donner une seconde vie. Ce premier but est atteint. Les autres objectifs de l’opération se construisent chaque jour. Voilà ce qui est important.
Pour finir sur une note d’actualité, ici tout se passe bien. Moral au beau fixe, pas comme la météo… Mais les beaux jours vont arriver, tout comme la grande marée de 116 de vendredi prochain. Ah ! Cette force immuable de la nature ! Si loin de nos petitesses…

Marc POINTUD

Depuis TÉVENNEC par 48°04’17 » Nord et 04°47’43 » Ouest par vent d’ouest force 4 avec une mer assez calme sur une large houle apparue en fin de journée et annonciatrice d’un bon coup de temps dans les heures prochaines. A suivre… Lumière sur Tévennec !

L’EFFET TÉVENNEC

Déjà une semaine sur le caillou. A dire vrai je ne l’ai pas vu passer. Arrivé samedi dernier dans un ballet d’hélicoptère pour le transport du matériel, les premières heures et le jour suivant ont été consacrés à mon installation. Pas facile de tout ranger car la surface disponible n’est pas grande. La pièce où je vis ne fait guère plus de 6 m2. Il s’agit de tout ranger comme dans un bateau, avec méthode. Les deux autres pièces sont très humides, une ayant de l’eau au sol. Les vivres y sont installés sur des tasseaux de bois récupérés.

Première nuit de bruits inconnus, de sifflements, de coups sourds. La nuit séculaire des lieux. A peine mes marques prises, je suis cueilli mardi par un fort coup de vent de noroît accompagné d’une grosse houle. Le salut de Tévennec. Mon intronisation. Dans un bruit sourd d’explosion, les vagues ne cessent de monter à l’assaut de la falaise nord de l’îlot pour jaillir sur le pignon de la maison, échevelées d’embruns dans un arc en ciel. La nature à l’état primal, brute, hargneuse et acharnée, sans répit, pour réduire ce minuscule morceau de continent. Un spectacle grandiose dont je profitais sans retenue quand soudain mon bonnet s’est envolé. Introuvable malgré une recherche visuelle et attentive dans l’écume des roches, en contrebas de la terrasse ! Perdu à jamais dans les flots ! Une nuit de déferlantes passe. Au matin le bonnet était de retour, sur un méplat de roche, plein d’algues, rendu par la mer. L’effet Tévennec à n’en pas douter 

Marc POINTUD!

Depuis TEVENNEC par 48°04’17 » Nord et 04°47’43 » Ouest par vent de N force 4 avec une mer agitée. Lumière sur Tévennec !

 

IlS ONT APPORTÉ AIDE ET SOUTIEN

ROLL-UP-SNPB-BAT

La SNPB remercie chaleureusement ces entreprises, les associations du Cap Sizun, la région Bretagne, les communes d’Audierne et d’Esquibien, pour l’aide et le soutien qu’elles ont apportée à la réalisation de l’opération « Lumière sur Tévennec ».

Les donateurs et sympathisants, les membres de l’association, dont certains venus de très loin, les bénévoles qui ont participé aux préparatifs et fait preuve de la constance nécessaire à l’aboutissement de cette opération difficile sont étroitement associés à cette gratitude. Nous n’oublions pas notre parrain, Louis Cozan, ancien gardien des phares d’Iroise, les anciens gardiens de phares du Cap ainsi que les descendants de certains gardiens de Tévennec. Un coup de chapeau aussi aux nombreux médias qui couvrent l’opération.

C’est parti !

Et voilà ! Enfin à Tévennec. Sur le caillou, comme l’on dit.
De quoi faire mentir tous les pessimistes, de plus ou moins bonne foi, qui se demandaient si finalement l’opération aurait bien lieu… Tout arrive. La mer est école de patience.
Cela n’a pas été une mince affaire… Certes, ce fut une préparation étalée sur plusieurs semaines mais qui en fait, comme c’est toujours le cas, s’est accélérée dans les jours qui ont précédé le départ. L’effet entonnoir du temps. L’inquiétude – et le risque – d’avoir oublié quelque chose d’indispensable. Un objet pas forcément important mais essentiel. Penser à tout. Pour vivre au quotidien pendant plusieurs semaines dans une maison isolée de tout et vide de tout car inhabitée depuis plus d’un siècle, il faut tout apporter : eau, vivres, mobilier, de quoi produire de l’énergie et tout un ensemble d’ustensiles, de matériels, aussi divers qu’hétéroclites. De quoi réparer, au cas où… De quoi se soigner, au cas où…
Pas mal de matériel était déjà arrivé en octobre et la pièce que j’occupe avait été préparée par les bénévoles de l’association lors de précédentes venues. L’un d’entre eux, charpentier de marine a notamment réalisé un excellent travail. Qu’ils soient les uns et les autres remerciés car si je suis ici c’est aussi grâce à eux. Puisque je suis dans les remerciements, c’est bien volontiers que j’en adresse aussi aux différents mécènes, aides et donateurs qui ont contribué à la réalisation de cette opération. Je ne peux tous les citer ici, ils se reconnaîtront.
Hier était la journée du grand départ. Une belle journée venteuse mais ensoleillée. Nous nous sommes réunis à la baie des Trépassés, plus exactement à l’hôtel éponyme qui nous à reçus, fort bien, et qui dispose d’un terrain pour hélicoptère. De là, Tévennec, que l’on voit au large, n’est qu’à quelques minutes de vol.
Le fret, les divers colis, une fois arrivés en contrebas de l’îlot ont du être transportés
dans la maison du phare. Entassés dans le couloir d’entrée, c’est progressivement et tardivement que j’ai procédé à un premier rangement. Puis la nuit est arrivée. Une lampe, un dîner rapide et frugal et un bon repos mérité.Mon installation a continué aujourd’hui dimanche. Branchement du panneau solaire en priorité, qui charge bien – ouf !-, essai du groupe électrogène de secours, neuf mais qui fuyait et que j’ai du réparer (j’ai pensé « Merci la Chine » mais en y regardant de près il est « made in France »… ). C’est plus inquiétant… Enfin il fonctionne correctement désormais. Ajoutons des rangements divers et la journée s’achève. Ce soir je me cuisine un bon petit dîner. Faut se soutenir !
A suivre …
Depuis 48°04’17 » Nord et 04°47’43 » Ouest par vent de NE force 7 avec une mer agitée à forte. Lumière sur Tévennec !

DÉCRYPTAGE D’UNE ÉMISSION SUR LES PHARES

Être ou ne pas être…
Dire ou ne pas dire…Telle est la question…
Vendredi 8 janvier Thalassa a diffusé une émission à la gloire du patrimoine des phares. Il faut s’en réjouir et louer cette initiative. Pourtant pendant et après la diffusion, plusieurs messages nous sont parvenus s’étonnant de certaines contradictions et de l’absence notable de la SNPB nullement citée au cours du reportage. Oui cela semble surprenant alors que dès 2003 nous pointions, seuls, l’état de ce patrimoine et qu’en 2008 Thalassa avait diffusé  un sujet consacré à la SNPB et à l’état des phares en mer notamment celui de Tévennec.
Les temps ont changé. Il faut savoir rester consensuel ou du moins en donner l’apparence. En d’autre termes, pas d’opinion à rebrousse poil … A dire vrai voici l’instant crucial, le choix qui se pose : faut-il laisser filer dans le courant sans se soucier de se contredire ou subir la contradiction en restant droit dans ses bottes. Nous avons choisi la vérité. Décryptage.
Les spectateurs de l’émission, passionnés par cette présentation des phares et ses spectaculaires images, ont eu le privilège de pénétrer, pas caméra interposée, à l’intérieur de célèbres phares comme Ar-Men ou les Pierres Noires. Au vu des images tout y est « en bon état », ordonné et pas même humide. Aux Pierres Noires, la cuisine est presque aussi propre que si l’on venait de la quitter pour aller en courses… Les boites de conserves en métal sur les rayonnages ne sont pas rouillées et leurs étiquettes quasi neuves. Laissez une seule des ces boites dans une maison face à la mer pendant quelques mois et vous verrez le résultat ! Et que dire si cela était dans un phare du large assailli par la mer et l’air salin humide !
Ce phare des Pierres Noires est sans gardiens depuis 1992. Vingt trois ans de solitude aqueuse hormis quelques brefs passages annuels. Or deux séquences surprennent : l’apparition de charentaises en parfait état au pied d’une couchette elle-même prête à recevoir le gardien fatigué et la lecture d’un journal du phare (1) dans la cuisine. Sans doute un clin d’œil pour montrer que l’humidité n’a aucune prise sur le papier comme en atteste aussi l’état des étiquettes. Une fois j’ai laissé, d’un été à Pâques, une veste en lainage dans une maison sur une île. Je l’ai retrouvée couverte de moisissure et une note au stylo dans une poche était devenue illisible. L’encre avait bu. La conservation des pantoufles et de ce journal du phare relève certainement du miracle. A moins qu’il n’ait fallu montrer que l’intérieur des phares en mer n’est pas dans l’état dont nous témoignons depuis des années. Témoignage pourtant fondé sur ceux d’agents du service eux-mêmes. Au phare d’Ar-Men, toujours selon l’émission, le café (?.. drôle de couleur…) se prend dans une cuisine impeccable aux murs sans aucune trace d’humidité, tout comme les boiseries de la couchette toute aussi prête au service avec son beau matelas blanc. Comme aux Pierres Noires, mais en pire, ce phare sans gardiens depuis 1990 est seul depuis vingt six ans face aux assauts de l’océan ponctués par quelques rares visites. Un miracle vous dis-je… Peut-être qu’avec le réchauffement climatique, l’air plus chaud retenant davantage l’humidité sous forme de gaz contribue-t-il à une meilleure conservation de l’intérieur des phares…
Les spectateurs de l’émission, le grand public non averti de l’état réel de ce patrimoine en mer, pensera que finalement il faut certes le protéger mais qu’après tout, au vu des images, il n’est pas en si mauvais état. Il nous écrira des messages, s’étonnant que nous puissions prétendre le contraire. De tout cela il n’est rien. Les phares en mer sont en mauvais état, extérieurement et intérieurement. Un excellent et long article « Les phares sont montés au ciel » paru en tête de l’édition 2016 du très respectable Almanach du Marin Breton ne dit pas autre chose si ce n’est dans des termes encore plus forts. Pourtant Thalassa a aussi des images de l’intérieur d’un phare en mer, en Iroise, en plein dans le sujet : Tévennec. Il est vrai qu’elles ne représentent pas l’idéal attendu. Nous aurions pu avoir d’autres vues. Ce n’est pas faute d’avoir demandé depuis des années d’aller constater sur les autres phares l’état réel des aménagements intérieurs. proposition toujours officiellement refusée au motif de la sécurité, le transport sur place étant, paraît-il, réservé aux agents du service. Cela ne semble pas le cas dans l’émission.
Ce numéro de Thalassa a certes l’avantage de montrer au grand public le caractère exceptionnel du patrimoine des phares en mer et la nécessité de le sauvegarder. Mais la vérité oblige a rappeler qu’il est en mauvais état. Son inscription aux Monuments historiques ouvrira-t-elle le financement de son entretien physique et non virtuel ? Un doute m’assaille. Une fois numérisés en 3D, les intérieurs réels seront-ils conservés ? Bien sûr, grâce à cette technique le plus grand nombre pourra y avoir accès et cela est bien. Mais que vaut le virtuel au regard de la si forte impression que provoque la vue d’Ar-Men se dressant seul au milieu des houles de l’Iroise ? Ce patrimoine hors du commun, connu du monde entier, mérite bien davantage et recèle sans aucun doute des ressources inexploitées pour entamer une belle deuxième vie. Nous n’avons pas fini d’en parler. Mais n’est-ce pas normal de faire des vagues autour d’Ar-Men ?
Marc Pointud
Président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises

Voir ou revoir l’émission de Thalassa

 (1) Journal de bord du phare qui était tenu quotidiennement par les gardiens pour y consigner par écrit les observations météo, les évènements relatifs à la vie du phare ou extérieurs, les relèves, les pannes, les interventions d’entretien, etc. Chaque phare disposait d’un tel journal, véritable mémoire ouverte depuis la date de son allumage et occupant, au final sur plus de 100 ans, une grande quantité de registres minutieusement manuscrits. Ceci pour chaque phare… Hélas, même si de nombreux exemplaires ont été par la suite conservés, une très grande quantité de ces journaux a disparu. Cet ensemble capital du patrimoine des phares a été pillé, volé ou tout simplement jeté ou brûlé lors de « grands nettoyages » notamment au moment de l’automatisation et du départ des gardiens…  Une véritable catastrophe patrimoniale à une époque, pas si lointaine, voire récente, où rien ne fut mis en œuvre pour une collecte systématique de ce patrimoine modeste mais essentiel.

2016 : UN VŒU UNIQUE OU PRESQUE…

Nouvel an, période des vœux…  Un vœu unique à faire ici : Passer sur Tévennec et inaugurer ce séjour tant attendu. Rien de dramatique, certes, dans ce retard par ailleurs consubstantiel de l’histoire de phares en mer. Cependant il me tarde de partir, de me retrouver seul là-bas face à l’océan et de faire revivre ces lieux. Je comprends les interrogations de tous ceux, journalistes, membres et sympathisants de l’association ou autres passionnés de ce patrimoine, qui ont aidés à préparer ou faire connaitre cette opération. Car ils la suivent de près et sont impatients de vivre le grand jour, celui de l’annonce du retour d’un habitant à Tévennec. Une lumière pâle, le soir derrière les carreaux. Entre deux vagues… Qui verra cette lueur ? Un guetteur sémaphorique de la pointe du Raz, un ligneur attardé, un navire de pêche à destination de la mer Celte, un passager matinal ou noctambule de la Brittany Ferries qui croise régulièrement à quelques encablures ? Un observateur à la longue-vue campé sur la pointe du Van ? Personne peut-être ? Qu’importe. Qui voudra être informé en aura la possibilité comme c’est déjà le cas depuis le lancement de cette opération. L’information est et sera largement diffusée. Comment ? Par une cohorte très attentive de plus de cinquante médias régionaux, nationaux et de l’étranger, issus de la presse écrite, de la radio et de la télévision; grâce à de nombreux sites internet et autres blogs dont celui-là même; par les réseaux sociaux où la SNPB est elle aussi présente avec plusieurs milliers d’abonnés. A chacun son moyen de se tenir informé. A cette liste ajoutons notre partenaire le groupe Le Télégramme avec notamment son quotidien et son réseau de télévision qui interviendra aussi chaque jour. Localement, l’office de tourisme d’Audierne déploie de son côté des moyens accessibles à tous. Un point d’information permanente sur l’opération y a été installé. Toutes ces possibilités de se tenir au fait de l’événement et d’autres seront développées lors du séjour. N’oublions pas enfin le suivi par mail, en direct de Tévennec, que recevront les donateurs de l’opération et les membres de la SNPB. Mais voici que pointe finalement un autre vœu : que la démarche personnelle permette aussi de se tenir informé.

Marc Pointud

Président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises.

RÉMANENCE… RÉMANENCE…

A l’instar du poète il faudrait pouvoir dire « Ô houle suspend ton vol… »

Car elles sont bien toujours présentes ces ondes de choc venues du grand large mourir sur nos côtes. Reprenons le scénario météorologique de ces dernières semaines. La situation générale qui a prévalu et qui perdure toujours en décembre est la suivante. Un vaste barrage anticyclonique s’étend de l’Atlantique central à la Russie entraînant le maintien d’un champ de très hautes pressions sur l’Europe occidentale méridionale pouvant dépasser 1030 hp. Cette boursoufflure de hautes pressions dévie vers l’Atlantique nord le champ dépressionnaire qui habituellement s’établit en hiver à nos latitudes. Son cortège des dépressions associées circule donc nettement plus au nord entre le sud du Groenland et vers le nord de la Scandinavie. Des dépressions et de leurs fronts chaud et froid nous n’avons que la partie la plus atténuée et encore cela vaut-il pour les Îles Britanniques et parfois le nord de la France. Une situation anticyclonique qui éloigne les dépressions, voilà, pourrait-on communément penser, un moment de répit dans l’agitation de la surface de la mer qui offrirait l’instant propice du débarquement à Tévennec. Mais il n’en est rien. Un état, qui n’est pas de grâce celui-la, vient gâcher cette belle espérance : l’état de rémanence, ce qui se maintient ou persiste comme le rappelle le dictionnaire. Oui la houle se maintient, persiste et de surcroît elle est forte.

Alors pourquoi tant d’acharnement à nous interdire ce caillou ? L’esprit du rocher en aurait-il décider autrement ? La raison est bien plus terre à terre. Mer à mer oserais-je… Les dépressions, parfois très creuses, qui circulent actuellement de Terre-Neuve, leur lieu de naissance, vers le nord de la Scandinavie, engendrent, sur un large fetch(1) de plusieurs milliers de kilomètres, une houle puissante qui se répand selon une incidence à leur trajectoire générale et avec un angle qui est fonction de l’énergie insufflée par la dépression. En d’autres termes, plus l’énergie transmise à la surface de l’océan est grande, plus la houle qui en naît recèle de l’énergie, plus elle se répercute sur une vaste trajectoire et plus la force de Coriolis (déviation sur la droite dans l’hémisphère nord) se ressent et au final plus l’incidence par rapport à la trajectoire génératrice est grande. Or un angle d’incidence à la droite d’une trajectoire Terre-Neuve nord Scandinavie dévie la houle vers le sud-ouest Irlande et par conséquent vers l’ouest Iroise et vers Tévennec au final… Une grosse pierre jetée dans un bassin crée des ondes concentriques plus fortes et qui iront plus loin que celles qui naissent de l’impact d’une petite pierre… Sur sa longue route cette houle primaire rencontre d’autres houles, secondaires ou plus anciennes et forme, à des milliers de kilomètres de son point de départ, une houle générale dite rémanente d’autant plus forte que le régime des vents lointains qui l’ont engendrée persiste. Encore une rémanence ! La houle rémanente peut être d’une direction très différente de celle du vent local. C’est ce que nous vivons en Iroise avec une belle houle d’ouest-noroît, originaire du très septentrional passage des dépressions, que croisent des vents de secteur sud à sud-ouest car ils se propagent globalement selon la pente isobarique du rebord nord des hautes pressions décrites plus haut (les vents circulent dans le sens des aiguilles d’une montre autour d’un champ de hautes pressions dans notre hémisphère). Voilà un beau cocktail qui rend les parages de Tévennec peu recommandables ces temps-ci et dont la rémanence, encore elle, nous oblige a imaginer d’autres moyens pour débarquer. Nous en reparlerons le moment venu. Mais ce sera cet hiver assurément.

Rémanence, avez-vous dit ? Comme c’est rémanent ! Tout serait-il rémanent ? Une chose est certaine : si la houle à ce caractère, ma volonté de pouvoir commencer enfin ce fameux séjour est tout aussi rémanente depuis le premier jour de sa conception ! Car je suis un fieffé entêté.

Marc Pointud

Président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises.

(1) Fetch : zone sur laquelle le vent transmet une partie de son énergie à la surface de l’eau sans rencontrer d’obstacle. Le fetch engendre la houle. Plus il est grand plus la houle est forte et par conséquent sa période grande. Auprès de nos côtes, une houle de 14 s de période par vent local faible est une houle rémanente d’une forte dépression lointaine parfois déjà comblée.

PROJET TEVENNEC : UNE FENÊTRE EN VUE…?

Il semblerait, selon les prévisions à moyen terme, qu’une fenêtre météo s’annonce dans cette période pré-hivernale. Elle interviendrait au cours de la semaine du 7 décembre, probablement le mardi ou le mercredi, et permettrait de finaliser le transport des derniers équipements nécessaires. Pour ces dates, des vents de secteur suet (sud est) sont prévus avec une vitesse moyenne très faible de 5 km/h. Le suet met les eaux de Tévennec dans un abri relatif sous le vent de la pointe du Raz. A la suite de plusieurs jours de régime d’ouest, ces vents provenant d’un large secteur sud pourraient permettre à la houle de s’atténuer. Car c’est bien ce facteur qui est en réalité déterminant pour accoster l’îlot. Or sur ce point les prévisions ne sont pas encore d’actualité. Espérons seulement qu’il ne restera pas une houle rémanente d’ouest dont la période plus ou moins grande supposerait une énergie toujours trop importante pour aborder.

Ajoutons à ces réflexions la question de la marée. Pour les jours en question, les coefficients vont de 82 à 73 ce qui est encore maniable. Reste le sujet des horaires de marée. A Tévennec il convient d’aborder plutôt à mi-marée, ceci pour deux raisons essentielles : d’une part l’échelle d’accès au môle est brisée dans sa partie basse ce qui interdit tout débarquement à marée basse avec de tels coefficients et d’autre part à mi-marée on profite des récifs environnants qui sont découverts et sont autant d’obstacles naturels protégeant des déferlements. En l’espèce, la mer sera haute mardi comme mercredi en tout début de matinée ce qui implique une mi-marée vers 10/11 heures. Mais surtout cela signifie que toute la matinée se passera dans le jusant c’est à dire avec un courant du nord vers le sud, soit à contre vent. Or ne passe pas le Raz vent contre courant avec de tels coefficients à moins que ce vent ne soit, comme cela semble prévu, très faible à nul… Quant au retour de l’après-midi il sera aussi mer contre vent pendant le flot. Rien n’est simple dans ce secteur ! Nous verrons bien lorsque nous disposerons de prévisions fines à quelques jours..

Marc Pointud