A l’instar du poète il faudrait pouvoir dire « Ô houle suspend ton vol… »
Car elles sont bien toujours présentes ces ondes de choc venues du grand large mourir sur nos côtes. Reprenons le scénario météorologique de ces dernières semaines. La situation générale qui a prévalu et qui perdure toujours en décembre est la suivante. Un vaste barrage anticyclonique s’étend de l’Atlantique central à la Russie entraînant le maintien d’un champ de très hautes pressions sur l’Europe occidentale méridionale pouvant dépasser 1030 hp. Cette boursoufflure de hautes pressions dévie vers l’Atlantique nord le champ dépressionnaire qui habituellement s’établit en hiver à nos latitudes. Son cortège des dépressions associées circule donc nettement plus au nord entre le sud du Groenland et vers le nord de la Scandinavie. Des dépressions et de leurs fronts chaud et froid nous n’avons que la partie la plus atténuée et encore cela vaut-il pour les Îles Britanniques et parfois le nord de la France. Une situation anticyclonique qui éloigne les dépressions, voilà, pourrait-on communément penser, un moment de répit dans l’agitation de la surface de la mer qui offrirait l’instant propice du débarquement à Tévennec. Mais il n’en est rien. Un état, qui n’est pas de grâce celui-la, vient gâcher cette belle espérance : l’état de rémanence, ce qui se maintient ou persiste comme le rappelle le dictionnaire. Oui la houle se maintient, persiste et de surcroît elle est forte.
Alors pourquoi tant d’acharnement à nous interdire ce caillou ? L’esprit du rocher en aurait-il décider autrement ? La raison est bien plus terre à terre. Mer à mer oserais-je… Les dépressions, parfois très creuses, qui circulent actuellement de Terre-Neuve, leur lieu de naissance, vers le nord de la Scandinavie, engendrent, sur un large fetch(1) de plusieurs milliers de kilomètres, une houle puissante qui se répand selon une incidence à leur trajectoire générale et avec un angle qui est fonction de l’énergie insufflée par la dépression. En d’autres termes, plus l’énergie transmise à la surface de l’océan est grande, plus la houle qui en naît recèle de l’énergie, plus elle se répercute sur une vaste trajectoire et plus la force de Coriolis (déviation sur la droite dans l’hémisphère nord) se ressent et au final plus l’incidence par rapport à la trajectoire génératrice est grande. Or un angle d’incidence à la droite d’une trajectoire Terre-Neuve nord Scandinavie dévie la houle vers le sud-ouest Irlande et par conséquent vers l’ouest Iroise et vers Tévennec au final… Une grosse pierre jetée dans un bassin crée des ondes concentriques plus fortes et qui iront plus loin que celles qui naissent de l’impact d’une petite pierre… Sur sa longue route cette houle primaire rencontre d’autres houles, secondaires ou plus anciennes et forme, à des milliers de kilomètres de son point de départ, une houle générale dite rémanente d’autant plus forte que le régime des vents lointains qui l’ont engendrée persiste. Encore une rémanence ! La houle rémanente peut être d’une direction très différente de celle du vent local. C’est ce que nous vivons en Iroise avec une belle houle d’ouest-noroît, originaire du très septentrional passage des dépressions, que croisent des vents de secteur sud à sud-ouest car ils se propagent globalement selon la pente isobarique du rebord nord des hautes pressions décrites plus haut (les vents circulent dans le sens des aiguilles d’une montre autour d’un champ de hautes pressions dans notre hémisphère). Voilà un beau cocktail qui rend les parages de Tévennec peu recommandables ces temps-ci et dont la rémanence, encore elle, nous oblige a imaginer d’autres moyens pour débarquer. Nous en reparlerons le moment venu. Mais ce sera cet hiver assurément.
Rémanence, avez-vous dit ? Comme c’est rémanent ! Tout serait-il rémanent ? Une chose est certaine : si la houle à ce caractère, ma volonté de pouvoir commencer enfin ce fameux séjour est tout aussi rémanente depuis le premier jour de sa conception ! Car je suis un fieffé entêté.
Marc Pointud
Président de la Société Nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises.
(1) Fetch : zone sur laquelle le vent transmet une partie de son énergie à la surface de l’eau sans rencontrer d’obstacle. Le fetch engendre la houle. Plus il est grand plus la houle est forte et par conséquent sa période grande. Auprès de nos côtes, une houle de 14 s de période par vent local faible est une houle rémanente d’une forte dépression lointaine parfois déjà comblée.
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